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Les réseaux saoudiens du financement de Ben Laden

• LE MONDE | 12.11.01 | 12h03

PEU après son installation à Khartoum, au Soudan, en 1991, Oussama Ben Laden a participé à la mise en place de plusieurs structures financières et commerciales lui permettant de financer ses activités terroristes. Outre les financements issus des mouvements politiques, (...) les activités économiques d'Oussama Ben Laden sont relayées par une société holding dénommée Wadi Al Aqiq. Elle est administrée à Khartoum par un Soudanais, Abu Al-Hasan. (...) Les principales sociétés concernées et identifiées par le FBI sont les suivantes : Al-Hijrah for Construction and Development Ltd ou Hijrah Contracting Company ; (...)Taba Investment Company Ltd, basée au Soudan, est une société d'investissement dans le secteur agricole, détenant la majorité des cultures de maïs, de tournesol et de sésame du pays ; Gum Arabic Company Ltd, société soudanaise spécialisée dans le traitement et la commercialisation de la gomme ; Ladin International, société d'investissement installée à Khartoum ; Al-Themar Al-Mubaraka, société de production agricole basée au Soudan. Al Qudarat, une société de transport.

Mais l'un des principaux investissements de Ben Laden a porté sur une institution bancaire, Al Shamal Islamic Bank, au capital de laquelle il participe à hauteur de 50 millions de dollars à cette époque. Cette banque lui permettait non seulement de financer ses activités, mais également de faire transiter des capitaux vers les fronts du djihad. Le procès des auteurs des attentats contre les ambassades américaines en Afrique a permis de constater que les comptes bancaires d'Al Shamal alimentaient également l'organisation terroriste Al-Qaida.

Le directeur général d'Al Shamal Islamic Bank, même s'il nie aujourd'hui la présence d'Oussama Ben Laden dans le capital de l'établissement, a toutefois récemment reconnu que celui-ci disposait de deux comptes dans la banque, ouverts le 30 mars 1992 et inactifs depuis 1997, au nom de la société Al-Hijrah for Construction and Development Ltd. Plus surprenant, il reconnaît également l'ouverture d'un compte, en 1993, au nom de la société holding d'Oussama Ben Laden, Wadi Al Aqiq, dont on apprend qu'il s'agit d'une société de droit saoudien, enregistrée en Arabie saoudite, dont le compte est inactif depuis 1995. Révélations étonnantes lorsque l'on sait que, depuis le 6 avril 1994, Oussama Ben Laden s'est vu retirer sa nationalité saoudienne par les autorités du royaume et que l'ensemble de ses actifs est censé avoir été gelé à cette date.

L'un des actionnaires de référence de la banque est la deuxième institution bancaire du pays, Tadamon Islamic Bank, établie le 28 novembre 1981, et dont l'activité a commencé le 24 mars 1983. (...) La banque est présente sur l'ensemble du territoire soudanais, à travers vingt et un établissements. Elle est dirigée par Sayed Altigani Hassan Hilal et Sayed Salah Ali Abu Alnaja. Ses principaux actionnaires en 1998 sont les sociétés National Co for Development and Trade (15 %) de Khartoum filiale soudanaise de la banque saoudienne Faisal Islamic Bank, Kuwait Finance House KSC, la Dubai Islamic Bank PLC, Yasien Leather Co, Bahrain Islamic Bank BSC, ainsi que plusieurs actionnaires individuels. (...) Le ministère des affaires sociales des Emirats arabes unis est également présent dans le capital de la banque. Tadamon dispose de plusieurs filiales au Soudan, notamment dans les secteurs agricoles, industriels et immobiliers. (...) La Faisal Islamic, créée en 1977, est dirigée par le prince Mohammad Al Faisal Al Saud d'Arabie saoudite. (...)

Autre banque à avoir facilité des transferts au profit des réseaux d'Oussama Ben Laden, la Dubai Islamic Bank, dont la CIA aurait établi que des mouvements réguliers alimentaient des organisations associées à Ben Laden. L'établissement bancaire islamique, créé en 1975, est dirigé par Mohammed Khalfan Ben Kharbash, qui n'est autre que l'actuel ministre des finances des Emirats.

La banque compte parmi ses

actionnaires les gouvernements de Dubaï et du Koweït (à hauteur respective de 10 % du capital). La banque est actionnaire de Bahrain Islamic Bank, d'Islami Bank Bangladesh et de Tadamon Islamic Bank, présente dans le capital d'Al Shamal Islamic Bank. La Dubai Islamic Bank était l'un des principaux actionnaires de la BCCI, avec plus de 80 millions de dollars d'actifs dans cette dernière. La banque a été touchée par plusieurs scandales, notamment le blanchiment d'argent pour 242 millions de dollars au profit de Foutanga, dit Babani Sissoko, milliardaire malien.

Saleh Abdullah Kamel dans le financement des réseaux d'Oussama Ben Laden en 1999, avec la société de communication Tihama for Advertising, Public Relations and Marketing, filiale du Dallah Albaraka Group. La société a été citée comme étant l'un des relais saoudiens des réseaux de financement des activités terroristes d'Oussama Ben Laden. Saleh Kamel n'a toujours pas été à ce jour inquiété par les développements judiciaires concernant les structures précitées. Seul Khalid Ben Mahfouz, directeur général de Tihama et partenaire financier de Saleh Abdullah Kamel, a été placé en résidence surveillée et démis de ses fonctions de président de la National Commercial Bank d'Arabie saoudite au cours de l'année 2000.

L'Arabie saoudite a-t-elle "joué avec le feu" en soutenant la cause de l'islamisme radical ? A-t-elle été dépassée par ses propres constructions et schémas plus ou moins opaques pour soutenir le fondamentalisme ? Les éléments recueillis nous font douter de cette explication. Il existe en effet des liens étroits et souvent familiaux entre les différents protagonistes de l'islamisme radical, qui ne doivent malheureusement rien au hasard. Cette politique lui assurait la prééminence sur le nationalisme arabe et sur l'Iran dans la promotion de l'islam. Elle condamnait également, et dans le même temps, l'Occident à entrer en conflit avec ces radicaux soutenus par la première puissance islamique du monde. (...)

Si les Etats-Unis ont aidé Ben Laden, ce fut dans une large mesure la conséquence involontaire de leurs propres ambitions dans la région. Le soutien saoudien s'inscrit en revanche, lui, dans le cadre d'une politique voulue, claire et sans ambiguïtés quant à l'essor de l'islam dans le monde.

A la lumière de ces révélations, Oussama Ben Laden apparaît d'abord et avant tout comme un produit du wahhabisme et un instrument du royaume saoudien qui ont tous deux trouvé des éléments de convergence tels qu'ils les liaient durablement. L'attitude saoudienne dans le cadre de l'organisation de la riposte américaine aux attentats du 11 septembre démontre à cet égard le trouble du régime à l'égard d'Oussama Ben Laden. Le refus du royaume d'autoriser sur son sol la présence de forces américaines pour frapper l'Afghanistan illustre cette tolérance mutuelle qui existait entre l'Arabie saoudite et Ben Laden (...). On parle volontiers de "terrorisme d'Etat" s'agissant de la Libye ou de l'Iran. L'Arabie saoudite est épargnée des listes noires pour la simple et bonne raison qu'elle est incontournable de la scène pétrolière mondiale. Sans cette manne, il est probable qu'elle y figurerait en bonne place.

 extraits du chapitre 8 : "les réseaux saoudiens du fondamentalisme".

© Denoël

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