Lettre
d'information (presque) mensuelle
du Mouvement des étudiants
pour la réforme de l'enseignement de
l'économie
www.autisme-economie.org
45 rue d'Ulm, 75005
Paris
ÉDITO
IL est sorti. Ce
coup-ci, ça y est, on vous l'avait bien dit la fois dernière. Qui
ça, " il " ? Ben le rapport Fitoussi, pardi.
En ces temps
troublés, on en a fort peu parlé. Et c'est bien dommage. Parce
qu'il propose plein d'excellentes idées, notamment une réelle
pluridisciplinarité à la fac, et une approche très différente de
l'enseignement, centrée sur les débats (pour le fond) et sur la
production de travaux par les étudiants (pour la forme). Bref, on
peut dire que nous avons été entendus !
Certes, tout n'est
sûrement pas parfait dans ce rapport. La place de l'histoire des
faits et de l'histoire de la pensée par exemple nous semble
insuffisamment assurée, notamment en premier cycle. Et nous
contestons l'idée d'"outils communs" à tous les économistes, ou
d'un "langage" qui serait partagé par tous. Mais il y a beaucoup
de bon. Ce rapport, il faut donc absolument le lire
(L'enseignement supérieur de l'économie en question, eds Fayard,
98 F), et le faire discuter dans les facs, en mettant les profs
face à leurs responsabilités. Et leur demander : " Vous êtes
contre ? Pourquoi ? Vous êtes pour ? Bien, que comptez-vous faire
pour le mettre en place ? " Nous lançons d'ailleurs un forum sur
cette question, à l'adresse suivante
:
http://forums.multimania.lycos.fr/lire/rapportfitoussi.
Vous avez le droit de vous y précipiter, si, si
!
En particulier, si
vous vous saisissez de ce rapport, la rentrée pourra être animée
dans les facs d'éco. Sinon, la routine reprendra le dessus, et on
continuera à poser des lagrangiens, comme avant…
En plus en plus en
plus : les Américains rejoignent le camp de la critique ! Des
dizaines de doctorants ont en effet signé un splendide texte, l' "
Appel de Kansas City ". On vous laisse le découvrir
ci-dessous.
Bonnes
feuilles
Voici donc quelques extraits du rapport Fitoussi, pour vous mettre l'eau à la
bouche. On a fait court, pour ne pas vous embêter trop longtemps.
Mais ce n'est pas une raison pour vous en tenir aux quelques
phrases qui suivent !
Introduction :
" Le débat sur
l'enseignement de l'économie est un signe de vitalité de la
démocratie et il est donc bienvenu. Il me semble, en effet, que
dans une démocratie il est essentiel que cohabitent différentes
conceptions de l'économie comme de la société ".
Sur
le pluralisme :
" Il faut enseigner
les débats, pas seulement pour des raisons de pluralisme, mais
parce que leur compréhension permet aux étudiants de mieux
assimiler les concepts ".
" L'économie a été et sera toujours
en débat. Il m'étonne que l'on s'en étonne. Peut-on imaginer que
des questions telles le chômage, les inégalités, la pauvreté
soient traités comme des phénomènes physiques ? "
Sur
le rapport à la réalité :
" L'économie ne
saurait pour autant se réduire à ce noyau -le corpus d'outils de
base- mais constitue une discipline intellectuelle, traversée par
des débats et éclairée par des approches diverses. Les
enseignements doivent refléter la richesse de ces débats et
approches, en articulant théories d'une part faits et politiques
de l'autre. "
Sur l'excès de
formalisation :
" Force est de
reconnaître qu'à ces deux niveaux -les mathématiques et la
formalisation- des dérives ont pu apparaître. On constate parfois
(souvent ?) un excès de modélisation et un souci pour le moins
atténué de la pertinence pour expliquer le réel. ".
Sur la pluridisciplinarité :
" Il faut au
contraire prendre en compte l'exigence de multidisciplinarité au
sérieux, sans dissimuler sa difficulté, surtout pas aux étudiants.
L'économie est une discipline complexe, précisément parce qu'elle
implique une connaissance étendue d'autres matières, parce qu'elle
suppose la maîtrise de concepts appartenant à plusieurs champs
disciplinaires. C'est pourquoi ce rapport préconise une
organisation beaucoup plus multidisciplinaire des études que cela
n'est pratiqué aujourd'hui ".
En résumé
Fitoussi propose les choses suivantes
:
1. Un
cursus 3/5/8 pluridisciplinaire :
- une première
année pluridisciplinaire, avec 3 matières au choix, n'importe
lesquelles dans l'idéal.
- ensuite, l'étudiant ne garde pendant
les 2 années suivantes que 2 matières, une " majeure " et une "
mineure ", par exemple économie-sociologie, économie-droit, ou, en
principe, économie-physique
- enfin, à partir de la 4ème année,
c'est la spécialisation actuelle
2. Une profonde réforme des
cours
Pour Fitoussi, il
faut mettre fin à l'éparpillement actuels des cours, qui se
centrent beaucoup trop sur le maniement des " outils ", et
oublient les questions auxquelles ils sont censés répondre. Il
propose donc de mettre en place ce qu'il appelle des " cours
intégrés ", et qui sont finalement de bons (sans ironie, au
contraire !) vieux cours d'économie politique, dans lesquels on "
intègre " des éléments d'histoire de la pensée - plus exactement,
des controverses entre auteurs -, des faits et des conclusions de
politique économique.
Fitoussi reste
malgré tout dans la logique selon laquelle il existe un " langage
commun " entre économistes, et que c'est ce langage qu'il convient
d'apprendre, avant de pouvoir traiter des questions qui nous
préoccupent. On ne le suit pas nécessairement sur ce point : quel
est le langage commun entre la Théorie Générale et les bouquins de
Walras ? Entre la " plus-value " de Marx et le " salaire
d'efficience " ?Entre la théorie de la régulation et les modèles
de Gary Becker ? Au-delà d'idées très générales comme celles de
rationalité ou de coordination, on ne voit pas très bien. Mais il
ne fallait pas non plus s'attendre à autre chose de sa part, et ce
que nous avons obtenu est déjà énorme.
3.
Conclusion : un changement en profondeur de la fac
Au total, on a donc
des changements importants avec ce qui existe actuellement.
Fitoussi nous dessine en effet le modèle d'une fac où les
enseignants enseignent, et ne se contentent pas de dérouler des
équations devant des étudiants fatalement abrutis. Qui à déjà
assisté à un cours d'éco à la fac pendant lequel des étudiants
posent des questions ? Il nous dessine aussi une fac où les
étudiants apprennent, et ne se contentent pas de recracher ce
qu'ils ont plus ou moins bien gobé. Il s'agirait pour eux de lire
des textes d'auteurs, et de les confronter, aussi bien entre eux
que sur des problèmes empiriques, pour essayer de piger quelque
chose à quelque chose.
Ce n'est en effet pas en restant
passivement assis à reproduire ce qui est au tableau qu'on est à
même d'assimiler les concepts, et encore moins les " outils ". Il
faut au contraire les mettre à l'épreuve de questions concrètes,
par des essais, des exposés, des travaux à plusieurs, pour enfin
comprendre ce dont il s'agit. Cela vaut d'ailleurs
particulièrement pour tout ce qui est statistique et
économétrique, qui doit enfin se faire, comme nous le demandons
depuis le début, sur machines et à partir de vraies
données.
Ces réformes pédagogiques, proposées par Fitoussi,
sont aussi le meilleur moyen d'acquérir des capacités générales -
lire (des textes d'auteurs), écrire (des essais), parler (devant
les autres durant un exposé) - qui nous serviront dans notre vie,
personnelle comme professionnelle. C'est pas rien ça, si
?
Notre communiqué de presse à
nous
Deux articles ont
recensé le rapport Fitoussi (voir ci-dessous). De notre côté, on a
fait le Communiqué suivant, qui a été diffusé à toutes les
rédactions du monde libre :
Le mouvement
des étudiants pour la réforme de l'enseignement de l'économie, à
l'origine de la " lettre ouverte " publiée en juin 2000 -voir Le
Monde du 17 juin 2000- et indirectement du rapport demandé par M.
J. Lang à M. J-P Fitoussi, estime qu'une partie de son constat sur
l'enseignement de l'économie ainsi que certaines de ses
revendications ont trouvé écho dans le rapport remis au ministre.
En effet, ce dernier :
- souligne la dimension politique des
théories économiques et la " diversité des réponses " apportées à
un même problème ; il reconnaît la nécessité d'enseigner les
théories dans leur diversité en présentant aux étudiants les
débats qui traversent la discipline. Cette recommandation rejoint
la revendication de pluralisme exprimée par le mouvement.
-
justifie le principe d'une démarche scientifique, impliquant " la
confrontation des théories aux faits " dans des " cours intégrés
", rencontrant ainsi le souhait des étudiants de sortir des mondes
imaginaires.
Dans le cadre de ces propositions d'ordre
pédagogique, portant sur le contenu des cours, il est tout de même
à regretter :
- que l'enseignement de l'histoire de la pensée
économique et de l'histoire des faits économiques ne soient pas
envisagé en 1er cycle alors que ces disciplines constituent une
culture de base pour l'étudiant, lui permettant de mieux
appréhender les mécanismes économiques et s'avérant être un
complément nécessaire aux cours de théorie économique, même
lorsque ceux-ci seront " intégrés " -ce qui est pour l'instant
loin d'être le cas.
-que le rapport, bien qu'il reconnaisse que
" depuis longtemps " la théorie de l'équilibre général ne
constitue pas " un horizon indépassable " de la discipline,
n'insiste pas suffisamment sur la prédominance injustifiée de
cette approche dans les cursus actuels, et donc sur la nécessité
de diminuer le nombre encore important d'enseignements consacrés à
cette théorie dans la plupart des universités.
Les réformes
pédagogiques doivent être médiées, d'après M.Fitoussi, par des
réformes institutionnelles. Pour la première d'entre elle, la
pluridisciplinarité en 1er cycle, nous considérons qu'elle est
bénéfique sur au moins 2 aspects : elle permet d'une part de
retarder la spécialisation précoce et parfois précipitée de
l'étudiant ; d'autre part, elle est une reconnaissance
intellectuelle de la complexité des phénomènes économiques et de
leur imbrication dans des structures institutionnelles et
sociales. Nous sommes donc très favorables à cette orientation, et
souhaitons que soit assurée la possibilité réelle aux étudiants de
suivre un cursus pluridisciplinaire, et ce tout au long de leurs
études.
L'apprentissage des techniques (les " langages ") en TD
et le renforcement au sein de ceux-ci de la part d'exposés
réalisés par les étudiants peuvent constituer une voie afin que la
formalisation ne soit plus considérée comme la finalité de
certains cours et TD.
Par contre, en ce qui concerne la réforme
portant sur l'évaluation, nous considérons qu'elle présente des
risques majeurs, même si nous y sommes en partie favorables. Nous
souhaitons en effet une évaluation des enseignements, mais nous
opposons à toute pratique conduisant à une mise en concurrence des
universités. Nous réaffirmons notre attachement au caractère
national des diplômes et des procédures de recrutement, ainsi que
l'a également indiqué M. le ministre. Il est de plus à noter que
la voie préconisée correspond déjà aux pratiques de certains pays,
dans lesquels on a pu constater des contestations similaires à
celles exprimées par les étudiants français -cf. la pétition des
étudiants de Chicago.
Lors de la remise de son rapport, M.
Fitoussi a qualifié notre protestation de " bonne rébellion ",
estimant qu'elle " apparaissait un peu partout dans le monde, et
ce des deux côtés de l'Atlantique ". Il nous a remerciés " d'avoir
posé de vraies questions ", et a regretté que, trop souvent,
l'économie soit " un savoir désincarné qui ne permet pas une
compréhension du monde contemporain " Au contraire, il a estimé
que " les débats constituent la discipline elle-même ", et que le
rôle du politique dans les décisions économiques devait être
reconnu à sa juste place.
Nous nous réjouissons de ces
déclarations et feront tout ce qui est en notre pouvoir, avec
l'ensemble des étudiants et de leurs syndicats, notamment l'UNEF,
pour que les pratiques pédagogiques aillent enfin dans ce sens.
Nous espérons en particulier que, comme l'a annoncé M. Lang durant
la conférence de presse, " ce rapport ne sera pas sans suite ",
contrairement au sort qu'avait connu le précédent rapport sur
l'enseignement de l'économie (dit rapport Vernières). Nous
invitons donc les étudiants à un large débat sur ce rapport, et
nous ouvrons d'ailleurs dès aujourd'hui un forum de discussion
électronique sur le rapport Fitoussi, à l'adresse suivante :
http://forums.multimania.lycos.fr/lire/rapportfitoussi
Mouvement des étudiants pour la réforme de
l'enseignement de
l'économie.
www.autisme-economie.org
Les articles du Monde et de Libé
(extraits)
Laurent Mauduit, Le
Monde, (20 septembre 2001)
" Ce document,
risque de faire beaucoup de vagues, pour une double raison :
d'abord parce qu'il préconise des mesures énergiques ; ensuite
parce que cet ouvrage est l'aboutissement d'une longue
mobilisation dans les milieux universitaires et sera donc examiné
à la loupe par les étudiants et les enseignants de cette
discipline. "
FREINER L'ABSTRACTION MATHÉMATIQUE
" l'auteur
s'attache à dessiner les contours d'une réforme en profondeur tout
à la fois de l'organisation et du contenu des enseignements
économiques à l'université. Pour le premier cycle, il recommande
de "renforcer la dimension propédeutique" de l'enseignement, en
recourant "à des dissertations, dossiers ou fiches de lecture plus
qu'à des questions à choix multiples, dérive potentiellement
dangereuse, et aussi à des exposés oraux". "
" Evoquant une
autre récrimination des étudiants portant sur le recours excessif
aux mathématiques, il estime que "l'abstraction ne doit pas être
recherchée pour elle-même, mais en ce qu'elle permet, en
simplifiant les données d'un problème concret, d'en mieux saisir
la nature et d'en mieux comprendre les déterminants". "Il faut
donc éviter, dit-il, que l'enseignement des mathématiques et
statistiques (et parfois de la microéconomie) soit utilisé dans le
premier cycle uniquement comme un moyen de sélection." M. Fitoussi
propose également un renforcement de l'enseignement des langues,
notamment de l'anglais, dans la filière économique.
"
" M. Fitoussi
s'attarde longuement, par ailleurs, sur la question de
l'hétérodoxie en économie et sur le manque de pluralisme relevé
par les étudiants. "Bien saisir les enjeux du "pluralisme"
implique aussi, dit-il, une démarche à la fois historique et
épistémologique. Celle-ci exige un détour préalable : il faut
d'abord avoir acquis un langage commun pour en saisir les limites.
Et on a vu que l'acquisition de ce langage commun n'impliquait en
rien l'enseignement d'une théorie unique." "
"Réviser la
pédagogie de l'enseignement en économie"
Le rapport Fitoussi
dégage les pistes d'une réforme.
Par VITTORIO DE
FILIPPIS
Le jeudi 20 septembre
2001
Libération
" Le patron de
l'OFCE rejoint les étudiants lorsqu'ils affirment que les
connaissances qu'ils acquièrent ne leur permettent pas de
comprendre le monde dans lequel ils vivent. De même, il voit en
eux de meilleurs juges que leurs professeurs lorsqu'ils expliquent
qu'ils subissent un "enseignement désincarné" de toute réalité.
"
" Quoi qu'il en
soit, Jean-Paul Fitoussi propose de "réviser la pédagogie" de
l'enseignement en économie, notamment pour que la discipline soit
plus vivante. Il réfute l'idée selon laquelle l'enseignement de
l'économie se résumerait à un simple affrontement entre le clan
des "orthodoxes" et celui des "hétérodoxes". Entre les deux
courants de pensée, la confrontation existe, mais elle est
féconde. "
" (…) le rapport
s'attarde sur les pistes d'une réforme de l'enseignement supérieur
en économie. Il recommande de réduire la charge des cours pour
favoriser le travail personnel des étudiants. Ce qui suppose de
réformer le système des travaux dirigés. Ou encore, lorsqu'il
s'agit de comprendre l'effet d'un revenu minimum ou d'une
politique budgétaire de relance, de promouvoir des "cours
intégrés": des cours qui allient la théorie aux faits politiques
et aux débats. Tout ceci dans une nouvelle organisation qui évite
une spécialisation dès la première année. Hier, à la veille de la
rentrée universitaire, les étudiants ont jugé "intéressant le
rapport Fitoussi". Mais la question n'est pas seulement de plaire
aux étudiants. Il s'agit aussi, pour eux, de donner les moyens
financiers d'une vraie réforme de l'enseignement supérieur. Et là,
tous en conviennent: c'est une autre histoire. "
Extension du domaine de la critique : Les Américains
prennent le leadership ?
Au cours d'une
Université d'été, des Américains et des étudiants du monde entier
se sont réunis. Et ils ont écrit un texte. Nous, on le trouve
excellent. Si vous aussi, vous pouvez le signer ici (vous
trouverez d'ailleurs à cet endroit la version originale du texte,
in english s'il vous plaît) :
http://www.btinternet.com/~pae_news/KC.htm
Une lettre ouverte internationale à tous les
départements d'économie :
une invitation à la
réforme
La science
économique a besoin d'une réforme fondamentale, et aujourd'hui, il
est l'heure du changement.
Ce document est
issu de la rencontre de 75 étudiants, chercheurs et professeurs
originaires de vingt-deux pays différents, rassemblés pour
discuter pendant une semaine de l'état de la science économique à
l'Université de Kansas City-Missouri (UMKC) au mois de juin 2001.
La discussion avait lieu dans le cadre de la Seconde Université
d'Ete Biennale de l'Association pour une Science économique en
Evolution (AFEE : Association For Evolutionary Economics), sous le
patronage conjoint de l'UMKC, de l'AFEE et du Centre pour le
Plein-emploi et la Stabilité des Prix.
Nous soussignés,
tous acquis à la nécessité de réformer notre discipline, avons
rédigé la lettre ouverte suivante. Cette lettre rejoint les
affirmations d'autres groupes qui ont les mêmes inquiétudes. En
accord avec le Mouvement pour une Economie Post-Autiste et la
Proposition de Cambridge, que nous soutenons, nous croyons que la
théorie économique, inhibée par son approche anhistorique et le
formalisme abstrait qu'elle a pour méthodologie, n'a fourni
jusqu'ici qu'une compréhension limitée de la complexité du
comportement économique. Son approche méthodologique étroite
l'empêche de formuler des propositions politiques réalistes et
vraiment pragmatiques, et d'engager un dialogue constructif avec
les autres sciences sociales.
Tous les
départements d'économie devraient réformer leurs cursus en
intégrant une réflexion sur les présupposés épistémologiques qui
sous-tendent notre discipline. Une discipline économique
responsable et efficace serait une discipline qui percevrait le
comportement économique dans ses contextes plus vastes, et qui
encouragerait le débat philosophique. Dès maintenant, le champ de
l'analyse économique doit être étendu afin de prendre en compte
les éléments suivants :
1° Une conception
plus élaborée du comportement humain : la définition de l'homo
oeconomicus comme un optimisateur rationnel autonome est trop
étroite et ne permet pas de prendre en compte le rôle de
déterminants tels que l'instinct, les coutumes, le sexe,
l'appartenance à une classe et d'autres facteurs sociaux, dans la
formation de la psychologie économique des agents.
2° La
reconnaissance de la culture : les activités économiques, comme
tous les phénomènes sociaux, sont nécessairement encastrés dans la
culture - nous entendons par là tous les genres d'institutions et
de systèmes de valeurs, sociaux, politiques et moraux. Ces
institutions et ces systèmes façonnent et guident profondément le
comportement humain en imposant des obligations, en permettant et
en empêchant des choix individuels, et en créant des identités
sociales et collectives, ce qui peut avoir un impact sur le
comportement économique.
3° La prise en
compte de l'histoire : la réalité économique est non pas statique
mais dynamique, et en tant qu'économistes, nous devons nous
demander comment et pourquoi les choses changent à travers le
temps et l'espace. Une recherche économique soucieuse de réalisme
devrait s'interroger sur les processus plutôt que simplement sur
les états de fait.
4° Une nouvelle
théorie de la connaissance : la dichotomie positif vs. normatif
traditionnellement adoptée dans les sciences humaines est
problématique. La distinction fait-valeur peut être dépassée par
la reconnaissance du fait que les valeurs du chercheur sont
inévitablement impliquées dans la recherche et l'élaboration de
propositions scientifiques, qu'il en ait conscience ou pas. Cette
reconnaissance permet un jugement plus pertinent sur ce qui se
revendique comme connaissance.
5° Un fondement
empirique : plus d'efforts doivent être faits pour étayer les
affirmations théoriques par des preuves empiriques. La tendance à
privilégier les propositions théoriques sans référence à
l'observation empirique, dans l'enseignement de la science
économique, entretient le doute sur le réalisme de telles
explications.
6° Des méthodes
élargies : des procédures telles que l'observation participante,
les études de cas et les analyses de discours devraient être
reconnues comme des moyens légitimes d'acquisition et d'analyse de
données, au même titre que l'économétrie et la modélisation.
L'observation des phénomènes à partir de différents points de vue,
en utilisant des techniques variées de recueil de données, devrait
offrir de nouveaux aperçus sur ces phénomènes et en améliorer
notre compréhension.
7° Le dialogue
interdisciplinaire : les économistes devraient avoir conscience de
l'existence de différentes écoles de pensée au sein de la science
économique, ainsi que des développements d'autres disciplines, en
particulier les sciences sociales.
En dépit de sa
forte capacité à développer des qualités de réflexion analytique,
la formation professionnelle des économistes a eu tendance à
décourager les économistes ne serait-ce que de débattre de la
pertinence de ces éléments - sans même parler de les accepter. Au
contraire de ce qu'on observe dans d'autres sciences sociales ou
humaines, il y a peu de place pour le débat philosophique et
épistémologique dans le métier d'économiste aujourd'hui. Les
étudiants en économie qui font preuve d'esprit critique semblent
confrontés à un choix malheureux entre l'abandon de cet esprit
critique afin de faire carrière, ou l'abandon pur et simple de
l'économie pour des disciplines plus propices à la réflexion et à
l'innovation.
Notre monde est un
monde dans lequel le changement économique est global, un monde
d'inégalités entre les sociétés et en leur sein, de menaces contre
l'intégrité de l'environnement, un monde qui connaît de nouvelles
sortes de pauvreté et de droits, un monde dont les cadres
législatifs internationaux sont en construction et qui connaît des
risques d'instabilité financière internationale. Dans un tel
monde, nous avons besoin d'une science économique qui soit
ouverte, efficace analytiquement et responsable moralement. Ce
n'est qu'en s'engageant dans une réflexion critique soutenue, en
révisant et en élargissant le sens de ce que nous faisons, que
nous pourrons faire émerger une telle science
économique.
Appel signé par
des économistes américains, espagnols, tunisiens, britanniques,
indiens, kenyans, estoniens, albanais, canadiennes, irlandais,
mexicains, chinois, colombiens, grecs, malais, italiens,
français…
Il vous est encore
possible de signer également l'appel de Cambridge, (voir la
précédente lettre d'info), à cette adresse :
http://www.btinternet.com/~pae_news/Camproposal.htm